6 décembre 2009

Mon Burkina Faso, ou l'équilibre délicat entre l'humain et le professionnel

© Guillaume Bonnet / MSF


Dimanche soir, mon portable sonne, c'est mon boss -
Je suis dans un train qui file vers Lausanne et mon coeur s'emballe un peu, je sais que quelque chose va se passer. Un coup de fil du bureau un dimanche soir, c'est forcément annonciateur. Je décroche.
Burkina Faso, photographe de New-York, reportage, malnutrition, départ dans deux semaines, un jour pour donner ma réponse. Je raccroche. J'avais raison. En voilà une nouvelle.

Il nous faut trouver une femme qui parle le français, celle qui nous racontera son combat pour garder ses enfants en vie jusqu'à la prochain récolte. Il n'y a pas assez à manger. Mes sens sont saturés, une avalanche de sons, de cris, d'odeurs et de couleurs; c'est le concept du bordel organisé à l'africaine. Des centaines de mamans avec leurs enfants dans ce centre de Médecins Sans Frontières dans la campagne du Burkina Faso.

La photographe m'assure que ses "sujets" viennent à elle d'eux-mêmes. J'ai beau trouvé ce romantisme craquant, je me demande bien comment on va faire. Les femmes qui parlent un peu de français sont en ligne, toutes fixent le sol alors que je leur parle de notre projet. Je veux qu'elles se sentent libre de refuser. C'est mon premier coup de dent dans ce fameux "rapport aux bénéficiaires" : mélangez un profond gouffre culturel et humain, ajoutez un zeste d'inégalité main-qui-donne / main-qui-reçoit, saupoudrez d'une question de vie ou de mort. Dégustez.

Natacha lève la tête et me regarde dans les yeux. Elle fait un pas en avant. Ce sera elle, je le sais. Elle est venue à nous; en fait, le romantisme craquant, ça marche. Elle me parle en baissant la tête par habitude mais sa voix est posée, sa stature en impose. Pendant deux semaines, je deviens journaliste radio, je me plonge dans sa vie, mon micro collé à ses lèvres pour mieux capter le son, anxieux d'établir une relation saine et juste, un équilibre délicat entre l'humain et le professionnel.

26 octobre 2009

L'esprit de la brousse

"Cette femme, là, c'est un esprit, un fantôme" me lance le chauffeur. Il me montre une vieille femme accroupie près d'un arbre mort, le regard perdu dans le vide. En tout cas, c'est ce que je devine, il fait nuit noire, il est 4 heure du matin et je ne suis pas des plus frais. Je contemple le ciel rempli d'étoiles, je n'en ai jamais vues autant, ni la voie lactée aussi bien. Je m'accroche ferme au siège du 4x4 MSF qui fonce sur le chemin de terre (avec beaucoup de trous) et me traite façon sac à patate.

On est au fin fond de la brousse du Burkina Faso et je comprends mieux à quoi peuvent servir 4 roues motrices. La photographe de New-York que j'accompagne pour un documentaire sur la malnutrition dort en arrière, ou du moins elle essaie. Il nous faut à tout prix arriver avant le levé du jour, car les premières lumières sont celles qui lui feront faire les meilleures photos, celles qui l'amèneront au sommet de la gloire.

La gloire peut-être, mais en Anglais. Elle baragouine trois mots de français, et je suis son traducteur officiel même quand les burkinabés nous racontent des histoires de fantôme, même quand ils la draguent; et ça donne : "tu veux que je lui demande si elle veut un enfant? Pourquoi ne pas commencer par son prénom?". Le chauffeur m'explique qu'il y a les bons et les mauvais esprits et qu'on les trouve surtout en brousse, dans les endroits reculés.

Nous dépassons la vieille, elle tourne son visage, pour ne pas être éblouie par la lumière des phares du bruyant 4x4. Moi qui ne suis pas superstitieux, je me demande quand même ce que peut faire une vieille dame toute seule, en pleine nuit, en pleine brousse ...